PORTRAIT | Jean-Philippe

Un début de vie professionnelle classique sans être conforme

Dès ma première année sur le campus d’HEC, j’ai développé une certaine schizophrénie avec la co-existence d’un double moi : président de la Junior Entreprise le jour et jeune étudiant rebelle la nuit. J’avais à la fois une grande soif de réussir socialement et financièrement mais je n’arrivais pas à me conformer aux codes établis.

J’ai bien essayé de faire de la finance ou du conseil comme la grande majorité de mes camarades mais l’oppression au sein de ces entreprises, à travers des horaires interminables, un code vestimentaire strict, un rapport hiérarchique dominant-dominé, m’ont poussé à fuir à chaque tentative. Je me suis donc retranché vers la voie la moins conforme, mais quand même acceptable, pour un HEC à cette époque : l’entrepreneuriat.

Le choix du cœur

J’ai fait un emprunt de 60 000€ pour payer mes 4 années d’études à HEC et bien que je devais rembourser près de 1 000€ chaque mois dès l’année de ma sortie, je n’ai pas voulu me contraindre à rejoindre un métier que je n’aimais pas juste pour une question d’argent. Je me suis donc lancé en tant qu’entrepreneur dans le secteur qui me plaisait le plus : les jeux vidéos. Cette première expérience entrepreneuriale a été de très courte durée et j’ai finalement rejoint une petite équipe de développeurs de jeux vidéos d’une dizaine de personnes à laquelle  je pouvais vraiment apporter un plus grâce mes compétences commerciales et où je me sentais bien.

Mais même dans les petites équipes de passionnés, il y a ce “Putain de Facteur Humain” qui rentre en compte, et je suis finalement parti au bout d’un an et demi en voulant essayer quelque chose de nouveau, avec plus de moyens financiers.

L’entrepreneuriat à coût de millions de dollars

On était en 2012 et c’était le début des incubateurs. En Europe, on entendait beaucoup parler de Rocket Internet. Lancé par trois frères Berlinois, Rocket Internet s’était spécialisé dans le copycat d’entreprises internet américaines dans les pays en développement. C’est comme ça que je suis parti aux Philippines pour lancer un Amazon local qui s’appelle aujourd’hui Lazada, au sein d’une armée de jeunes internationaux tous sortants des meilleures écoles et universités et n’ayant aucune expérience du e-commerce. En fait, la plupart de ces internationaux étaient d’anciens consultants ou banquiers d’affaires en mal d’une nouvelle expérience mais tous assez dociles face à l’autoritarisme exacerbé des trois frères Samwer, patrons de Rocket Internet.

Réalisant que j’étais surtout dans une nouvelle entreprise coloniale roulant sur l’or, qui crachait les millions de dollars de ses investisseurs pour acheter des parts de marché, et se permettait en retour un fonctionnement très militaire, j’ai mis les voiles au bout de 6 mois pour rentrer en Europe et m’envoler vers la capitale des startups du vieux continent : Berlin.

De startup en startup

À Berlin, j’ai rejoint un nouvel incubateur : HitFox, spécialisé dans le secteur des jeux vidéo. C’est à ce moment que j’ai découvert le marché naissant de la publicité en ligne sur smartphone. J’ai passé deux ans au sein de l’incubateur à travailler sur trois startups, toutes centrées sur la publicité mobile mais répondant à un besoin différent à chaque fois. J’y ai passé de super moments et j’ai eu la chance de beaucoup voyager, de rencontrer des personnes de tout horizon et de multiples nationalités.

Et puis, je suis parti à nouveau… En réalisant que les parts de la société qui m’avaient été promises à mon arrivée, ne me seraient jamais données. Je suis rentré à Paris avec deux anciens de HitFox pour lancer une nouvelle startup dans le domaine des jeux vidéos et répondre au problème grandissant de la fraude sur les achats publicitaires en ligne : PocketWhale. Mais cette fois-ci, on a eu beaucoup moins de chance que les années précédentes. On avait beau se débattre, le projet ne prenait pas aussi bien que ceux des Philippines ou de Berlin.

C’est cet échec qui m’a fait réaliser pour la première fois que je pouvais faire autrement que de chercher à gagner des millions d’euros et que la vie avait vraisemblablement un autre sens. Je sentais grandir en moi la volonté d’autre chose, j’étais fatigué de tous ces voyages, ces négociations, ces arnaques. Peut-être aussi la crise de la trentaine.

La claque

champs Vienam

J’avais envie de vivre autrement. Après 4 années à Paris, à courir en permanence au bureau, d’avion en avion pour rencontrer des clients et surtout à courir après l’argent et le bon filon pour enfin faire décoller la société, je n’y voyais plus vraiment le sens. J’ai encore pris le large en direction du Vietnam, et ça m’a fait un bien fou. J’ai eu du temps pour me retrouver, faire du sport, lire, glander, réfléchir, regarder les gens vivre, etc. Bref… Prendre de la hauteur.

La question de l’alimentation est centrale au Vietnam et c’est par ce prisme que j’ai abordé l’urgence écologique. Au fil de mes recherches, je suis tombé un peu par hasard sur une conférence de Jean-Marc Jancovici et là ce fut la claque ! Plus question de passer mon temps à chercher un enrichissement personnel au détriment de l’environnement et du climat. Il fallait que je mette mes compétences au service de cette cause qui m’était encore étrangère quelques mois auparavant. Ou plutôt, dont l’urgence et l’importance m’était étrangère. Parce que j’avais quand même entendu parler des défis écologiques avant sans m’en préoccuper plus que ça.

L’engagement collectif

Je suis devenu complètement obnubilé par la question climatique. Comme j’avais la chance d’avoir pas mal de temps, je l’ai mis à profit pour lire, me renseigner et discuter avec d’autres personnes également concernées. J’ai rejoint les associations The Shifters et La Fresque du Climat pour trouver une communauté d’autres personnes conscientes et engagées et afin de participer à œuvrer pour la sensibilisation citoyenne. Cela m’a fait un bien fou ! Ne serait-ce que pour parler avec des personnes aux sensibilités proches des miennes et ne plus avoir l’impression d’être un allumé de service pendant les dîners entre amis.

Et les idées sont venues…

J’ai commencé à réaliser des fresques du climat au Vietnam et l’idée m’est venue d’aller à la rencontre des acteurs de la transition qui œuvrent pour un autre modèle de société à travers l’agriculture et l’éducation. C’est comme ça qu’est né mon premier podcast, Pocket Green, dans lequel j’interviewe des Vietnamiens et des étrangers qui essaient de faire bouger les lignes.

Et puis, j’ai eu envie de rentrer en France. Malgré la vie facile et heureuse que l’on pouvait mener au Vietnam avec ma femme, je voulais participer au changement profond de société que je sentais gronder en France. Je voulais mettre mon réseau à profit pour faire changer le système. Et je voulais aussi vivre autrement. En accord avec mes valeurs, et cela était difficile au Vietnam.

Ozé le podcast

Logo Ozé le podcast

Nous sommes rentrés en France avec ma femme en Août dernier et nous avons décidé de poser nos valises à Albi. On est donc passé d’une ville de 13 millions d’habitants à une ville de 50 000 habitants. Un petit choc quand même ! Mais sans aucun regret.

J’ai la chance d’être accompagné par Pôle Emploi et bien qu’avec un niveau de revenus bien en dessous de ce qu’on pouvait toucher au Vietnam, nous arrivons à vivre très bien, sans se priver. J’ai le temps de développer le podcast Ozé dans lequel j’interviewe les diplômés du supérieur qui ont changé de voie professionnelle pour s’engager pour un monde durable et de questionner ce changement, les freins, les déclics, etc. Et puis, j’utilise mes compétences acquises auparavant pour accompagner des entreprises à impact dans leur développement. Toujours en questionnant ce qu’on met derrière le mot développement, la question de la croissance, les ventes, etc.

Affaire à suivre !

Mon conseil

Demandez-vous ce que vous risquez à vous lancer dans le pire des cas : si vous n’avez plus de revenus, ne pouvez pas bénéficier de pôle emploi, etc.

Dans mon cas, ce fut salvateur parce que je me suis rendu compte que le pire était simplement de retourner vivre chez mes parents avec ma femme, ou chez l’un des membres de notre famille. On a la chance d’être entourés et du coup, sans être idéal, ce pire scénario n’est pas très noir et le risque encouru vraiment pas bien grand. Il y aura toujours à manger sur la table, un toit au-dessus de nos têtes et de l’amour à profusion. En fait, je me demande réellement si on a besoin de plus !

Si vous cherchez l’inspiration : https://oze-podcast.fr/